Oui, la loi anti fast fashion est grossophobe ! Permettez-moi d’entrer dans le vif du sujet : la fameuse « loi anti fast fashion » ne cible pas seulement des pratiques industrielles destructrices, elle s’en prend aussi, volontairement ou non, aux personnes rondes. Oui, j’ose le dire : c’est une mesure foncièrement discriminatoire.
Comprendre la grossophobie : un poison vestimentaire et sociétal
Avant tout, posons les bases : la grossophobie, c’est ce système de représentations et d’actions qui marginalise, stigmatise, voire exclut les personnes dont la morphologie s’éloigne des standards dits « maigres ». Dans la sphère de la mode, c’est la traduction concrète d’invisibilité des grandes tailles : quand les créateurs, les maisons de couture, voire certaines enseignes plus « grand public », proposent des gammes « jusqu’au 44/46 » seulement, ou pire, consacrent aux rondes des coupes sans forme, dignes d’une nappe provençale vintage, on voit bien que ladite industrie préfère habiller un mannequin taille 36 plutôt que de répondre aux besoins de silhouettes généreuses. En somme, un véritable déni de dignité.
Cette discrimination s’inscrit dans un contexte plus large : le corps « gros » est souvent perçu comme « mauvais », « irresponsable », « moralement coupable ». On confond culpabilité alimentaire et rejet vestimentaire, puis on stigmatise :
« Si t’es gros, tu n’as qu’à rester moche. On veut une société plus écologique, mais les gros doivent rester moches ! »
Cette phrase, parfois glissée dans des commentaires en ligne, illustre parfaitement la mentalité qui prétend « sauver la planète » tout en refusant aux personnes rondes le droit de se sentir belles. Il est donc grand temps d’appeler un chat un chat : la loi anti fast fashion, telle qu’elle est conçue aujourd’hui, accentue cette logique de rejet plutôt que d’intégrer l’idée que la mode doit être accessible à tou·te·s, quelle que soit la taille.

Le cœur de la loi : une écologie punitive aux frais du consommateur
La plus grande erreur de cette loi est de mettre le curseur sur le consommateur plutôt que sur l’industrie. En pratique, elle envisage d’augmenter les taxes sur les articles vendus par les sites de fast fashion, qu’ils soient chinois (Shein, Temu, AliExpress) ou européens (Zara, H&M, Bershka). Objectif affiché : dissuader l’achat de vêtements jugés « trop polluants ». Le problème ? Les articles les moins chers sont, la plupart du temps, ceux proposés en grandes tailles. Pourquoi ? Parce que la production de pièces « taille 48, 50, 52 » reste anecdotique dans nos ateliers nationaux, et face à l’absence de proposition française ou européenne pour les rondes, on se tourne inévitablement vers des plateformes à petit prix. Résultat : on frappe toujours les plus vulnérables.
Imaginez la scène : Claire, 37 ans, pèse 120 kg et vit à la périphérie de Toulouse. Elle a un budget mensuel de 1 200 € net (eh oui, 1 200 €, c’est déjà un petit miracle aujourd’hui). Claire doit habiller son fils, 7 ans, et s’acheter un pantalon pour un bilan de santé dans trois semaines. Elle n’a pas les moyens d’acheter un jean Levi’s à 120 €, même en soldes. Pourtant, son 54 ne rentre pas dans les rayons du petit commerce local, qui s’arrête au 44/46. Elle n’a pas son permis, le bus ne passe que toutes les demi-heures, et le minimum, c’est de dépenser 5 € pour un T-shirt importé en 56 sur Temu.
Vous voyez le problème ? Cette loi, en surtaxant ces achats à 5 €, elle fait peser une surcharge sur l’un des derniers espaces de liberté des personnes rondes à petit budget : s’habiller sans être obligée de manger des pâtes à l’eau chaque jour.

Pourquoi cette loi est vraiment grossophobe ?
L’absence d’alternatives locales pour grandes tailles
En France, la filière textile a connu une désindustrialisation massive depuis les années 1980. Les ateliers de confection qui fabriquaient jusqu’au 54 ou 56 ont fermé, faute de commandes à grande échelle. Depuis, rares sont les petites maisons ou les artisans qui osent investir dans des patrons allant au-delà du 46.
Résultat : les rares marques françaises qui tentent la grande taille le font à des tarifs prohibitifs (plusieurs centaines d’euros la robe parachute, monsieur, il faut comprendre le coût du « made in France »), ou bien se limitent à deux ou trois silhouettes échantillons, souvent monochromes et sans aucune originalité. Vous aurez compris que les couleurs « pop » et les coupes « fashion » restent un rêve lointain.
Vous noterez la quasi-inexistence des couleurs, le manque total d’originalité et des coupes qui semblent héritées d’un vieux chiffon qu’on aurait réparé à la va-vite. En boutique, c’est pire encore : soit on vous indique avec désinvolture « ce rayon est pour les tailles 44–46 », soit le 48+ est relégué dans un coin sombre, au fond, à côté de la pile de pyjamas informes.
Les marques comme Shein ou Temu : des détaillants chic pour les rondes ?
En contraste cinglant, Shein, Temu et consorts proposent aujourd’hui des centaines de références en grande taille ; non seulement noir et blanc, mais aussi rouge rubis, vert olive, imprimés fleuris, tie-and-dye, coupes asymétriques, joggings stylés, jeans taille haute larges, tuniques bohèmes, et même quelques petites merveilles en soie synthétique à prix défiant toute concurrence. Bref, on peut enfin se sentir belle, colorée, stylée, sans se ruiner.
Cette offre massive, disponible en un clic, sur un écran d’ordinateur ou de smartphone, permet aux rondes de retrouver un semblant de dignité vestimentaire : elles achètent du vert émeraude au lieu du vulgaire bariolé « stop-grossophobie », elles trouvent un pantalon à motifs géométriques, un manteau long ceinturé, un pull jacquard chaud et doux. Elles suivent les tendances du moment. En somme, elles peuvent faire partie du monde de la mode, sans que leur porte-monnaie en lambeaux ne les rabaisse au rang d’« abribus à poches ».

La stigmatisation économique et vestimentaire
Dire « tu es gros, tu dois payer plus cher pour un vêtement » est une aberration : c’est pousser la personne à la frugalité, à l’indigence, à l’isolement social. Dans notre pays, on aime crier « égalité, fraternité ! », mais quand les rondes s’aventurent en boutique, on leur répond souvent :
« Désolé, madame, on n’a pas votre taille ici. »
Vous rendez-vous compte ? La discrimination repose sur un postulat simpliste : « Si tu es rond, tu n’as pas le droit d’être beau ». Or, cette loi s’inscrit dans ce même fantasme : « Si tu es gros, on va te taxer encore plus parce qu’on estime que tu achètes mal ». C’est un raccourci monstrueux, qui ignore les réalités budgétaires et géographiques des foyers modestes.
Une fracture sociale amplifiée
On ne peut pas séparer mode et classe sociale : il y a celles et ceux qui font leurs courses dans des friperies stylées, qui ont le réflexe « seconde main » ou atelier de retouches local, et il y a celles et ceux qui n’ont pas cette option. L’économie circulaire ? Très bien, mais qui va récupérer des tee-shirts en taille 56 dans nos villages isolés ? Les associations disent s’en occuper, mais elles manquent souvent de matériel, d’ateliers de retouches adaptés, et surtout de visibilité. La loi ne propose pas de créer des « Espaces Mode Inclusive » dans chaque département, ni de financer des ateliers de gradation pour grandes tailles. Non : on se contente de dire « Vous allez payer plus cher, comme ça vous achèterez moins ». Comme si culpabiliser la personne obèse pour son pouvoir d’achat allait la rendre plus vertueuse envers la planète !

Les effets pervers : une fausse écologie et un vrai désastre social
En surtaxant la fast fashion, on ne fait qu’encourager la revente informelle : consommateurs et petits cercles d’amis continueront d’échanger Shein ou Temu à bas prix, sans aucune garantie de conditions de fabrication. Parallèlement, les ateliers asiatiques (Shenzhen, Dhaka…) ne verront pas leurs horaires ou salaires s’améliorer, puisque la charge fiscale se déplace, mais ne diminue pas pour les grands donneurs d’ordre. Au final, c’est la précarité qui gagne : les foyers modestes, déjà serrés financièrement, devront réduire l’alimentation ou le chauffage pour absorber la surtaxe d’un simple T-shirt. Et, surtout, on envoie à tous les ronds un message glaçant : « Si tu es gros, tu mérites moins, tu dois payer plus », alimentant le sentiment d’indignité de centaines de milliers de personnes.
Pour une transition juste : des pistes simples et efficaces
Nous ne sommes pas contre une mode responsable, mais contre une écologie punitive. Quelques mesures concrètes pourraient changer la donne :
- Relocaliser la confection grande taille : lancer des appels d’offres publics pour financer des « Fabriques Grandes Tailles » en région, avec micro-crédits à taux zéro pour équiper au moins un atelier par département, et former de futurs créateurs aux grandes tailles.
- Instaurer un éco-chèque « taille 48+ » : pour tout foyer sous, disons, 1 800 € mensuels, offrir un bon de 50 € par an à dépenser dans des boutiques locales ou solidaires proposant du 48 minimum.
- Soutenir friperies et répareries XXL : créer, dans chaque agglomération de plus de 20 000 habitants, une « Recyclerie » dédiée aux grandes tailles (reprise, tri, retouches, échanges), et multiplier les « Repair Cafés XXL » pour éviter l’achat systématique de neuf.
- Associer les collectifs de ronds aux décisions : instaurer un « Conseil national de l’Inclusion Vestimentaire » avec représentants des associations anti-grossophobie, des artisans, des responsables RSE de marques, et des élus, afin que les lois naissent du terrain.
- Éduquer plutôt que sanctionner : lancer un label « Mode Inclusive & Éco » pour valoriser les marques (grandes ou petites) proposant au moins 20 % de leur gamme en 52+, et intégrer dans les cursus scolaires (lycées pro, CFA) des modules sur la couture inclusive, le recyclage textile et la consommation responsable adaptée à tous les budgets.
Source des images : IA