La mode aime les extrêmes. Depuis ses débuts, la maison parisienne Matières Fécales en a fait sa spécialité. Fondée par Hannah Rose et Steven Raj Bhaskaran, la marque s’est imposée par son esthétique radicale, entre créatures futuristes et glamour dérangeant. Leur ambition ? Casser les codes, libérer les corps et célébrer la singularité.
Pourtant, une question persiste : que devient le corps réel dans cet univers fantasmé ? Et surtout, quelle place occupe le corps des femmes rondes, trop longtemps mises à l’écart de la haute couture ?
Une esthétique « post-humaine » qui intrigue et choque
Chez Matières Fécales, les podiums ne ressemblent à aucun autre. Les silhouettes s’étirent, se métamorphosent. Les mannequins avancent dans des tenues aux coupes sculpturales, souvent proches du costume. Les visages se couvrent de maquillages futuristes, parfois grotesques, parfois sublimes.
L’idée est claire : repousser les frontières du corps humain. Créer une esthétique où le beau et le monstrueux se rencontrent. Beaucoup y voient un geste artistique radical, une critique de la mode trop lisse et trop commerciale.
Mais derrière cette ambition artistique, se cache un paradoxe. En cherchant l’extrême, la mode post-humaine peut finir par s’éloigner du quotidien des vrais corps.
Une marque qui prône l’inclusivité des corps hors normes
Ce qui distingue cependant Matières Fécales d’autres maisons provocatrices, c’est son casting. Contrairement aux podiums traditionnels remplis de silhouettes minces et jeunes, la marque choisit des modèles aux morphologies très variées.
On y a vu des mannequins ronds, mais aussi des personnes âgées, des modèles handicapés, des artistes drag, des performeurs à l’allure non conventionnelle. Leur présence n’est pas un simple coup de com’ : elle s’inscrit dans une véritable volonté de célébrer la diversité.
Cet engagement rend Matières Fécales unique. Dans un milieu qui parle beaucoup d’inclusivité mais l’applique peu, la maison montre que tous les corps ont leur place sur scène.
Quand le hors norme devient spectacle
Pourtant, ce casting soulève aussi une interrogation. Quand la rondeur ou le handicap apparaît sur le podium, est-ce vraiment pour représenter la réalité, ou est-ce parce que cela s’intègre dans un univers déjà pensé comme extrême ?
Chez Matières Fécales, le corps hors norme est sublimé, mais il reste inscrit dans une esthétique spectaculaire. Le danger est de voir ces corps utilisés comme symboles de provocation, sans que cela change profondément l’image du corps rond au quotidien.
En d’autres termes : être montré, ce n’est pas encore être représenté.
Le corps rond : d’une absence à une timide réhabilitation
Pendant longtemps, le corps rond a été effacé des podiums. Quelques maisons osent enfin lui faire une place : Versace, Fendi, Savage x Fenty. Des mannequins comme Ashley Graham, Paloma Elsesser ou Precious Lee ont brisé un plafond de verre.
Matières Fécales, de son côté, ne centre pas son discours sur la rondeur mais l’intègre dans un panorama plus vaste : celui des corps différents. Pour les femmes rondes, c’est à la fois une victoire – elles apparaissent – et une frustration – elles ne sont pas encore mises en avant comme des icônes de mode à part entière.
Une autre vision de la beauté
L’un des apports essentiels de Matières Fécales est de redéfinir la beauté. Dans leur univers, elle n’est pas lisse, parfaite ou homogène. Elle est singulière, dérangeante, puissante. Le corps rond y trouve une place nouvelle, non pas pour correspondre à des standards, mais pour les pulvériser.
Cette démarche rejoint d’une certaine manière le mouvement body positive : affirmer que la beauté se loge dans la différence. Mais elle va plus loin, en transformant la différence en arme artistique.
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Quel avenir pour la mode inclusive ?
La vraie question reste entière : quel avenir pour la diversité corporelle dans la mode ? Faut-il que les rondes continuent à apparaître dans des contextes extrêmes, ou faut-il les voir au centre des campagnes, des podiums classiques, des vitrines quotidiennes ?
Matières Fécales ouvre une voie, mais ce n’est qu’un début. La révolution de la mode inclusive ne sera complète que lorsque les femmes rondes, âgées, handicapées ou simplement différentes seront représentées partout, pas seulement dans l’exceptionnel.
Matières Fécales est une maison à part. Elle fascine par ses silhouettes post-humaines et sa volonté d’inclure des corps hors normes. En faisant défiler des mannequins ronds, âgés ou handicapés, elle rappelle que la mode peut être un terrain de liberté.
Mais pour les femmes rondes, le défi continue. Être visibles ne suffit pas. Il faut être représentées, célébrées, mises en avant non pas comme curiosité artistique, mais comme évidence.
Le futur de la mode ne se jouera pas uniquement dans les créatures futuristes, mais dans la reconnaissance pleine et entière du corps réel. Et ce jour-là, les rondes ne seront plus une exception : elles seront au cœur de la beauté.
Image de couverture par IA