Audrey, alias BigOrNotToBig, le dit d’une voix calme mais ferme :
« Je suis grosse, je m’habille la plupart du temps de façon éthique et en seconde main. Et je vais t’expliquer pourquoi, si tu es plus size et que tu t’habilles chez Shein, je ne vais pas t’attraper la veste. »
Une phrase simple, mais qui renverse la table.
Parce qu’elle révèle ce que beaucoup refusent de voir : quand on est ronde, on ne vit pas dans la même réalité vestimentaire que les corps dits “normés”.
Le confort des tailles 46 et moins
Audrey le souligne : jusqu’à une taille 46, tout va bien. Les enseignes classiques ouvrent grand leurs portants, et les options abondent.
Mais au-delà du 50 ou du 52, la chasse au vêtement devient un parcours du combattant.
Shein s’est engouffré dans cette faille : il a compris qu’il existait une énorme demande, ignorée pendant des décennies.
Et c’est là que le bât blesse : avant que la marque chinoise ne prenne la lumière, personne ne semblait se soucier du manque d’offres pour les femmes rondes.
@bigornottobig Je vous explique pourquoi le "juste arrête d’acheter chez Shein" ne marche pas… quand on est grosse. Et pour mieux s'informer sur la grossophobie, on suit Corps Cools et Gras politique sur Insta #grossophobie #fatphobiaisreal #fatphobia ♬ Melting (STEM bass) – Altitude Music / BMGPM
“Inclusivité” ou vitrine marketing ?
Audrey n’est pas dupe.
Avec la vague “body positive”, certaines marques ont joué le jeu pendant quelques années.
Mais aujourd’hui, les rayons grande taille disparaissent peu à peu.
Parce que dans le fond, dit-elle, “on ne veut pas des gros dans la clientèle”.
Ils ont servi d’affiche temporaire à la mode inclusive, puis hop, retour dans l’ombre.
Cette hypocrisie agace, et à juste titre : les femmes rondes sont souvent acceptées tant qu’elles décorent les vitrines, mais écartées dès qu’il s’agit d’investissement réel.
Le vrai coût de l’éthique
Audrey le sait mieux que quiconque : s’habiller de façon éthique quand on est grosse, c’est un luxe.
Les vêtements responsables coûtent cher, et les tailles disponibles s’arrêtent souvent avant le 54.
Même la seconde main, que tout le monde présente comme une solution miracle, reste un champ miné.
« Je fais du 56, et je passe des heures à chercher quelques pièces sur Vinted. »
Impossible de filtrer au-delà du 58, comme si ces tailles n’existaient pas.
Et quand, enfin, on trouve une robe ou un jean qui va, il faut souvent payer bien plus que pour une taille “standard”.
La précarité et le vêtement : un lien invisible
C’est une vérité qui dérange : la précarité est souvent liée à l’obésité.
Et ce n’est pas une opinion, c’est une réalité sociale.
Quand le budget sert d’abord à se loger, nourrir sa famille ou payer ses soins, difficile de dépenser 80 € pour une robe éthique.
Alors oui, payer un t-shirt à 5 € sur Shein, ce n’est pas “normal”.
Mais n’avoir que 5 € à y mettre, ce n’est pas un choix non plus.
Audrey le dit clairement : le problème n’est pas la consommatrice, mais le système.
Shein et femmes rondes, c’est la rencontre d’une précarité ignorée et d’un marché qui a su l’exploiter.
La fausse morale des corps normés
Et pourtant, ce sont souvent les femmes rondes qu’on pointe du doigt.
Celles qui montrent leurs hauls Shein sur TikTok deviennent les boucs émissaires d’un combat écologique qu’elles n’ont pas créé.
« Quand je vois des personnes normées attraper la veste des petites grosses, je trouve ça hypocrite. »
Parce que, dit-elle, les gros sont une cible facile.
Ils dérangent. Ils s’exposent. Ils réoccupent l’espace public avec leurs corps visibles et assumés.
Et dans ces moments, la grossophobie refait surface : “T’as qu’à maigrir”, “Mange des légumes”.
Des phrases qui piquent plus qu’une étiquette mal cousue.
Une question de représentation, pas de culpabilité
Ce que rappelle Audrey, c’est qu’on ne parle pas seulement de fringues.
On parle de représentation.
De statut social.
De la façon dont le regard collectif classe les corps dans une société ultra normée.
Quand on est gros, on a plus de mal à se soigner, à trouver un emploi, à être pris au sérieux… et même à s’habiller.
Alors venir dire à ces femmes qu’elles “n’ont qu’à acheter ailleurs”, c’est ignorer une réalité structurelle :
l’offre n’existe tout simplement pas.
Le paradoxe de la seconde main
Audrey souligne aussi la “gentrification” des friperies.
Autrefois symbole de débrouille, elles sont devenues “tendance” — et donc hors de prix.
« Avant, c’était un truc de pauvre. Aujourd’hui, c’est un business. »
Les vêtements grande taille y sont rares, souvent moches, parfois usés.
Et sur Vinted, la mode “Y2K” a transformé des pulls quelconques en pièces “vintage” vendues 20 €.
Alors oui, les grosses achètent de la fast fashion. Pas par plaisir. Par survie textile.
Ne pas condamner, mais comprendre
En vérité, le débat Shein et femmes rondes n’oppose pas l’éthique à la facilité.
Il met en lumière une inégalité profonde : celle du choix.
Certaines femmes peuvent s’habiller local, éthique et sur mesure. D’autres non.
Et tant que les grandes tailles seront invisibles dans les rayons, Shein restera pour beaucoup la seule porte ouverte.
Audrey conclut avec sagesse :
« Plutôt que de faire porter une responsabilité individuelle, il faudrait taper un peu plus haut. »
Oui. Tapons plus haut.
Sur les marques qui effacent les grandes tailles.
Sur les politiques de prix qui excluent.
Et sur ce système qui fait de l’inclusivité une vitrine, pas une réalité.
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