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Depuis toujours, le corps humain est au centre des préoccupations artistiques. Et parmi les formes les plus puissantes et évocatrices, le corps rond occupe une place unique. Tantôt symbole de fécondité, tantôt idéal de beauté, tantôt revendication politique, il traverse les siècles avec la grâce tranquille de celles et ceux qui savent qu’ils incarnent une vérité plus vaste que les modes passagères.

Dans la peinture, la sculpture ou la photographie, les corps ronds ont longtemps été célébrés, oubliés puis retrouvés. Loin des diktats contemporains, ils rappellent une évidence : la beauté ne se mesure pas en centimètres.

Le corps rond dans l’Antiquité : symbole de fécondité et de prospérité

Bien avant les canons de beauté élancés, la rondeur était vénérée comme signe de vie. L’un des témoignages les plus anciens est la Vénus de Willendorf, petite statuette en calcaire vieille de près de 25 000 ans. Avec ses hanches larges, sa poitrine imposante et son ventre rond, elle représentait la fertilité, la maternité et la prospérité.

Cette vision n’était pas isolée. On retrouve des silhouettes similaires dans d’autres cultures préhistoriques : la Vénus de Lespugue en France, ou encore les figurines fertiles d’Anatolie. Ces sculptures n’étaient pas des œuvres décoratives : elles étaient des symboles spirituels et sociaux, représentant la survie du groupe, l’abondance et la continuité de la vie.

Dans la Grèce antique, l’idéal était plus athlétique, certes, mais la déesse Déméter ou certaines représentations d’Aphrodite montrent des silhouettes plus pleines que les figures masculines sculptées. Ces courbes n’étaient pas perçues comme des défauts mais comme des attributs divins.

femme ronde dans l'art

La Renaissance : quand les rondeurs deviennent divine beauté

À partir du XVe siècle, la Renaissance italienne redéfinit les codes de la beauté. C’est une période où l’art célèbre le corps féminin dans toute sa volupté. Dans La Naissance de Vénus de Sandro Botticelli, la déesse surgit des flots avec des formes pleines et sensuelles. Elle n’est pas mince et anguleuse : elle est ronde et lumineuse.

Un siècle plus tard, Titien peint Vénus d’Urbin, une femme nue aux formes généreuses, allongée sur un lit. Ses hanches larges et son ventre doux étaient le reflet d’un idéal de beauté dans les cours européennes. La rondeur était un luxe : celui de manger à sa faim, de ne pas travailler aux champs, de vivre dans l’aisance.

Même chez Leonardo da Vinci, les études de corps montrent un intérêt scientifique pour la chair, les plis, les volumes. La rondeur est perçue comme noble, digne d’être étudiée et célébrée.

Le Baroque : triomphe des “Rubenesques”

Le XVIIᵉ siècle voit l’apogée de la chair dans l’art européen. Peter Paul Rubens peint des femmes pulpeuses avec une jubilation manifeste. Ses tableaux comme Les Trois Grâces montrent des silhouettes généreuses, des ventres arrondis, des cuisses pleines et des bras doux. Ces femmes ne sont pas accessoires : elles sont les héroïnes de l’œuvre.

La sensualité de la chair devient langage. Les plis de peau sont peints avec autant d’attention que les drapés des tissus. Le terme “rubenesque” vient d’ailleurs de là : il désigne une beauté pleine, charnelle, vivante.

Les artistes baroques, fascinés par le mouvement et la lumière, trouvent dans les corps ronds une matière idéale pour traduire la vie en action.

art femmes rondes

Le XVIIIᵉ et XIXᵉ siècle : les rondeurs dans l’intimité bourgeoise

Au XVIIIᵉ siècle, la peinture européenne glisse vers une esthétique plus intime et galante. Les rondeurs se font plus discrètes mais restent présentes dans les portraits de femmes de la noblesse. Les peintures de Jean-Honoré Fragonard et François Boucher regorgent de jeunes femmes aux courbes pleines, dans des scènes légères et voluptueuses.

Au XIXᵉ siècle, la rondeur s’installe dans le salon bourgeois. Les femmes représentées par Édouard Manet dans Olympia ou par Gustave Courbet dans L’Origine du monde ne sont pas filiformes. Elles sont réelles, charnelles, terriennes. Ces corps ronds incarnent une féminité assumée, parfois provocante, toujours fascinante.

La sculpture classique et moderne : les courbes gravées dans la pierre

La sculpture aussi a célébré les formes rondes. Dans l’Antiquité, des œuvres comme Vénus de Milo montrent un corps féminin aux formes pleines, bien loin des silhouettes effilées d’aujourd’hui. Au XIXᵉ siècle, Auguste Rodin sculpte des corps charnels, comme dans Le Baiser, où la sensualité passe par les volumes, la douceur des lignes, les plis de la chair.

Au XXᵉ siècle, Fernando Botero marque une révolution esthétique. Ses sculptures monumentales, comme La Femme à cheval, affichent des corps ronds, puissants et joyeux. Il ne s’agit pas de moquerie, mais d’une affirmation radicale de la beauté dans la rondeur.

art femmes avec des formes

Interprétations historiques : la rondeur comme signe de pouvoir

Pendant des siècles, la rondeur a été synonyme de richesse et de puissance. Dans les sociétés agraires, avoir des formes pleines signifiait être bien nourri, donc appartenir à une classe privilégiée. Cette perception explique pourquoi les portraits royaux montrent souvent des silhouettes plus larges, notamment chez Pierre Paul Rubens ou Diego Velázquez.

Mais au XXᵉ siècle, les standards esthétiques changent. La minceur devient synonyme de jeunesse, de modernité, d’élan. L’art dominant reflète alors ces transformations culturelles, et les corps ronds disparaissent peu à peu des toiles exposées dans les musées occidentaux.

Heureusement, des artistes comme Tamara de Lempicka ou Suzanne Valadon continuent de représenter des silhouettes généreuses, souvent plus sensuelles que les corps idéalisés.

Symbolique des formes généreuses : entre Terre et Humanité

Les formes rondes sont chargées de symbolique. Elles évoquent la Terre, la lune, la maternité, la douceur et la vie. Dans de nombreuses cultures africaines, des statuettes aux formes voluptueuses sont créées pour invoquer la fertilité. Dans certaines traditions asiatiques, des silhouettes pleines sont synonymes de prospérité et de bienveillance.

Le cercle, forme parfaite en géométrie sacrée, est associé à l’unité et à l’éternité. Les corps ronds dans l’art prolongent cette symbolique. Ils rappellent que la chair, loin d’être une faiblesse, est un temple de vie.

art femme obèse

L’art contemporain : réhabiliter les rondeurs

Au XXIᵉ siècle, les corps ronds font leur grand retour dans l’art contemporain. De jeunes artistes les utilisent pour dénoncer les diktats esthétiques imposés par la société et redonner une voix aux corps oubliés.

La peintre américaine Jenny Saville représente des corps massifs, pleins, réels, sans filtre. Son œuvre Propped est devenue emblématique de cette réappropriation de la chair.

Dans une autre esthétique, Botero continue d’exposer ses sculptures dans le monde entier. En France, des artistes comme Niki de Saint Phalle, avec ses Nanas joyeuses et colorées, ont redonné aux rondeurs une place festive et libératrice.

Héritage et avenir : vers une beauté plurielle

Les corps ronds dans l’art sont plus qu’une mode passée : ils sont un fil rouge dans l’histoire de l’humanité. De la Vénus de Willendorf aux œuvres de Jenny Saville, ces silhouettes généreuses racontent une autre vision du monde. Une vision qui valorise la vie, la chair, la fécondité, la joie.

Dans un monde obsédé par la minceur standardisée, ces représentations sont précieuses. Elles rappellent que la beauté est multiple, qu’elle traverse le temps et les normes. En les regardant, nous regardons aussi notre capacité à évoluer.

Et si, finalement, la véritable modernité consistait à réapprendre à admirer les rondeurs comme nos ancêtres le faisaient ?

Images par IA

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