Chaque année, la Fashion Week de Paris incarne le sommet de la créativité et du prestige dans la mode. Mais derrière les projecteurs et les strass, un malaise s’installe. Depuis deux saisons, une tendance inquiétante se dessine : la fin du body positive sur les podiums. Les mannequins grande taille, longtemps célébrés comme un symbole d’ouverture, disparaissent progressivement des défilés.
Cette évolution pose une question de fond : la mode renonce-t-elle à son engagement envers la diversité corporelle ?
La fin du body positive dans les chiffres
Les chiffres sont sans appel. Lors de la dernière saison, plus de 97 % des tenues présentées sur les podiums parisiens l’étaient en petites tailles. Une régression frappante après quelques années de progrès.
On se souvient des campagnes spectaculaires où des mannequins ronds s’imposaient sur les affiches, symboles d’une société qui semblait enfin accepter la pluralité des corps. Pourtant, ce qui ressemblait à une révolution se révèle n’avoir été qu’une parenthèse.
Ce recul est d’autant plus frappant qu’il se déroule dans un contexte où les consommateurs demandent plus de représentation. La dissonance entre le marché réel et l’image projetée par la mode est criante.

Quand l’inclusivité devient une mode passagère
Au cœur des agences spécialisées, la déception est immense. Un mannequin est considéré comme « grande taille » à partir du 42. Un chiffre qui correspond pourtant à la moyenne nationale. Ce paradoxe souligne l’hypocrisie d’un marché qui a brandi l’inclusivité comme un étendard, avant de l’abandonner dès que la tendance s’est essoufflée.
En 2019, le body positive était sur toutes les lèvres. Les marques utilisaient des mannequins aux morphologies variées pour montrer qu’elles avaient compris le besoin de diversité. Mais derrière cette image progressiste, il s’agissait parfois d’une stratégie marketing plus que d’une réelle volonté de changement. Aujourd’hui, la fin du body positive révèle la superficialité de cet engagement.
Témoignages : la désillusion des mannequins
Doralyse, mannequin en pleine ascension il y a encore quelques années, résume bien ce sentiment. Ses revenus, dit-elle, ont été divisés par trois. Sur les plateaux photo, elle constate des inégalités flagrantes : trois tenues pour elle, contre dix pour ses collègues plus minces.
« On a parfois l’impression de n’être là que pour remplir un quota« , confie-t-elle. La reconnaissance promise par la vague body positive semble avoir disparu, remplacée par une place secondaire et précaire.
Son témoignage met en lumière une réalité brutale : l’industrie de la mode célèbre la diversité uniquement quand cela lui profite, puis la relègue à l’arrière-plan dès que la tendance s’épuise.
Quand la confiance s’effondre
Sané, elle, a décidé d’arrêter. Après cinq ans de mannequinat, elle s’est reconvertie dans le marketing digital. Les injonctions constantes sur son corps l’ont épuisée. Un jour jugée trop mince, un autre pas assez ronde, jamais dans la bonne case.
« Ça m’a fait perdre confiance, parce que ce n’était jamais assez bien« , explique-t-elle. Son histoire illustre la violence psychologique d’un milieu qui ne cesse de changer ses exigences.
Ce n’est pas seulement une question de carrière. C’est une question de dignité et de santé mentale. Derrière la fin du body positive, ce sont des vies réelles qui vacillent, des femmes qui doutent de leur valeur parce qu’elles ne correspondent plus à un idéal imposé.
Une grossophobie toujours présente
Ce recul est révélateur d’une réalité persistante : la grossophobie imprègne encore profondément l’industrie. Derrière la façade de modernité, la mode continue de privilégier des silhouettes irréalistes. Les attentes des marques ressemblent à des caricatures : poitrine généreuse, fesses marquées, mais taille minuscule.
Cette vision tronquée réduit les corps à des fantasmes impossibles et exclut l’immense majorité des morphologies réelles. La fin du body positive n’est donc pas seulement une question de podiums, mais aussi une question de société.

Le rôle des médias et des réseaux sociaux
Il ne faut pas sous-estimer non plus le rôle des médias. Pendant la vague body positive, de nombreuses campagnes publicitaires, couvertures de magazines et séries télévisées ont mis en avant des corps plus diversifiés. Mais cette dynamique n’a pas résisté au temps.
Sur les réseaux sociaux, le discours inclusif reste très présent. Des influenceuses rondes rassemblent des millions d’abonnés, prouvant que le public veut autre chose que des silhouettes filiformes. Pourtant, cette énergie digitale ne s’est pas traduite durablement dans les défilés. La mode de luxe reste figée dans ses codes élitistes.
Le public en décalage avec les podiums
Le paradoxe est saisissant. Les consommatrices veulent des vêtements tendance, adaptés à leurs formes. Elles achètent en ligne, créent des communautés puissantes sur les réseaux sociaux et réclament une mode inclusive. Pourtant, les podiums ignorent cette demande.
Certaines marques spécialisées, souvent de taille moyenne, ont compris l’enjeu et proposent de vraies collections plus size. Mais les grandes maisons de couture semblent s’obstiner. À long terme, cette stratégie pourrait s’avérer risquée, car elle éloigne une clientèle fidèle et engagée.

Les États-Unis, un espoir pour les mannequins
Face à cette situation, certaines professionnelles envisagent de s’expatrier. Aux États-Unis, le marché plus size reste plus dynamique. Des grandes enseignes intègrent régulièrement des mannequins aux morphologies variées dans leurs campagnes.
Mais même là-bas, rien n’est acquis. Les mannequins doivent toujours se battre pour exister en dehors d’une simple case marketing. Le combat continue, preuve que la fin du body positive est un enjeu mondial.
La mode a-t-elle peur du réel ?
Pourquoi ce retour en arrière ? Est-ce la peur de perdre le prestige associé à une esthétique élitiste ? Est-ce simplement un effet de cycle ?
Quoi qu’il en soit, le message envoyé est clair : la mode continue de dicter une norme inaccessible, au lieu de refléter la diversité du monde réel. En reléguant les mannequins grande taille à l’arrière-plan, elle renforce l’idée que seuls certains corps sont dignes d’être montrés.
L’avenir de l’inclusivité
Malgré ce climat, l’espoir demeure. Les créatrices indépendantes multiplient les initiatives. Les influenceuses et les communautés en ligne continuent de valoriser des corps divers. Les consommatrices, elles, possèdent un pouvoir considérable : celui de soutenir les marques qui respectent réellement la diversité.
La fin du body positive sur les podiums ne signifie pas sa mort dans la société. Au contraire, c’est peut-être en dehors des grandes maisons que l’inclusivité trouvera un nouveau souffle.
La fin du body positive dans l’industrie de la mode marque une étape décevante. Les mannequins grande taille, marginalisés, témoignent de pressions constantes et de discriminations subtiles. Mais leur combat continue, porté par des communautés qui refusent l’invisibilité.
La mode a un choix à faire. Continuer à flatter une norme fragile et excluante, ou s’ouvrir à toutes les beautés. Les tendances passent, mais la soif de diversité, elle, ne disparaîtra pas.
Images par IA